Publié le 19 mai 2023

Quand le sacré fait écho à l’art (et vice versa)

[mes pas résonnent dans la chapelle… les chorégraphes anonymes se réunissent aujourd’hui dans une église pour parler du sacré dans leur pratique… wow ! ce lieu est conçu comme une caisse de résonnance…]

Dès que tu entres dans un espace, tu vas à sa rencontre. Voir un spectacle, c’est assister à une célébration. Le public respecte une entente tacite qui mène à une communion collective, parfois même à un état de grâce.

[quand j’étais petit·e, un rayon de soleil transperçant les nuages représentait pour moi un signe du divin…]

J’associe le Sacré à la poésie, c’est-à-dire à un espace singulier hors du fonctionnel. En tant qu’artiste, on me donne comme fonction d’activer ce vecteur de poésie comme d’autres labourent le champ ou vont à la mine.

[…pendant notre exploration spatiale, je me suis allongé·e sur l’autel et j’ai soudain eu accès au ciel…]

Cette définition du rituel fait écho à l’acte chorégraphique : « Les rituels sont corporels, performatifs, symboliques (…) Ils sont répétitifs, homogènes, expriment un moment de passage, un seuil, ils ont un caractère ludique et opérationnel » (Wulf et Gabriel, 2005). Dans les traditions ancestrales, la spiritualité se vivait à travers l’art autant pour accueillir une naissance que pour vivre un deuil.

[je me souviens avoir touché à des états de transe ou de communion à travers mes expériences de danse en groupe]

Il y a dans le sacré, une question de partage. La société occidentale contemporaine manque d’espace et de temps pour ces moments de rituel d’initiation et de recueillement. Le sacré est-il un ciment sociétal ?

[le chant de ma première communion m’est soudainement revenu quand j’ai parcouru l’allée centrale…]

Tous mes shows sont des rituels. Messes sombres, célébrations, party, rituels collectifs, rites de passage en lien avec des épreuves d’endurance ou un état de transe provoqué par la répétition du mouvement… Au fait, as-tu (encore) un rituel avant d’entrer en scène ?

[c’est étrange car même si je ne suis pas croyant·e, dans une église, je me mets à chuchoter…]

Le Sacré est lié au Pouvoir. Historiquement les formes d’art représentaient des incarnations du Sacré. Commandité par des religieux, l’art était au service du clergé. Comment se finance l’art dans une démocratie ? Quel idéal (et qui) sert-il ?

[le pouvoir de la religion consiste à mandater quelqu’un qui orchestre le rituel. La mise en scène liturgique nous dit quand nous lever, nous asseoir ou nous agenouiller…]

Le miracle de la religion, au fond, consiste à transposer à Dieu notre propre pouvoir d’action. Dans le rituel et dans le sacré, tu te donnes les moyens de te dépasser et d’explorer de nouveaux territoires afin de réaliser un projet qui te tient à cœur. L’acte créateur a le pouvoir de remodeler la réalité. Ce pouvoir performatif est transformationnel.

[l’allée centrale de cette église a été témoin de beaucoup d’événements : baptême, communion, mariage, funérailles…]

J’associe le rituel à des gestes qui nous ramènent à nous. Pendant un processus de création, j’ai proposé à chacun·e d’apporter un objet significatif et de les déposer sur un tissu. Chaque personne a pris le temps de poser son objet en silence. Ce coin du studio est alors devenu chargé d’une énergie particulière.

[L’espace est sombre le long du chemin de croix… on sent le poids de la culpabilité…]

La religion de l’Art nous contraint à des exigences, voire à un mysticisme (corps glorieux, créateur démiurge, effet spectaculaire…). À quoi ressemblerait une danse athée ? Je cherche à

désacraliser la danse avec un grand « D ».

Étrangement, ôter les artifices ne retire ni la magie, ni l’émotion qui se joue à travers la puissance d’un corps mis en scène. On touche paradoxalement à quelque chose de sacré : l’humain…

[on pénètre dans cet espace religieux avec ignorance ou avec des fantasmes…]

Le mythe est fondateur. La capacité de l’humain consiste à créer des fictions. C’est merveilleusement troublant. On peut travailler cette fiction afin de réorganiser le pouvoir.

[je n’ai jamais su quoi dire dans un confessionnal…]

Quand on désacralise, on écrit un nouveau récit pour valoriser des éléments qui ne l’étaient pas (assez) : la nature, la relation à l’autre, le presque rien… On porte une attention à ce qui était considéré comme insignifiant.

[sur l’orgue, trois petits pitons m’intriguent : un vert marqué « crescendo », un rouge intitulé « grand jeu » et un blanc avec la mention « vent »…]

Le théâtre est un lieu chargé de codes qui exerce une fonction. La chorégraphie se crée en fonction du lieu. Si tu changes d’espace, tu réécris l’histoire.

 

Texte librement composé par Katya Montaignac à partir d’une exploration spatiale de la Chapelle des Hospitalières et d’une discussion de chorégraphes anonymes sur « La relation entre le sacré et la création » conjointement tenues dans le cadre d’une résidence de recherche chorégraphique de Milan Gervais, le 14 décembre 2022.

Sous la forme d’un journal intime fictif, ces bribes de conversations sont elliptiques et subjectives. Le « je » y incarne différentes voix sans chercher à représenter une parole collective.

 

©Dessin et photos de Katya Montaignac

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