Publié le 9 mars 2023
La vulnérabilité comme force collective
En art, la vulnérabilité est un moteur, c’est central dans la création. En tant qu’artiste, à partir du moment où on dit « ceci est mon corps », on s’engage à être vulnérable. Être sur scène consiste à s’exposer, à « se mettre à nu » comme on dit souvent. …C’est par la vulnérabilité que je me sens pertinent·e… […] La notion de « vulnérabilité » s’avère complexe dans le milieu de la danse du fait de la précarité de nos conditions de travail. Comment l’assumer sans en faire un vecteur d’instrumentalisation ? On demande aux danseur·euses beaucoup de sacrifices au nom de l’art ! La vulnérabilité peut à ce titre devenir un outil de contrôle et un instrument de pouvoir, surtout quand on exploite les blessures psychologiques des interprètes comme matériau de création. […] Je me sens souvent vulnérable en tant que chorégraphe car j’ignore comment fonctionner dans mes futurs projets. Nos outils de travail se construisent tous les jours. Le travail de création me ramène constamment à la ceinture blanche. J’apprends à l’accepter. […] Je me sens responsable de créer un safe space, un espace d’empathie et de partage, au sein de mon équipe artistique. Essayer de le penser ensemble nécessite d’identifier nos aspirations, nos valeurs et nos limites. Faire face à ma propre insécurité en laissant la possibilité aux personnes que j’ai réunies de s’exprimer au maximum. Assumer la vulnérabilité. Jongler avec, l’explorer, la partager… […] Nous traversons tous·tes des moments de doutes et de profonds découragements. Plutôt que de voir nos fragilités comme une faille à corriger, peut-on les considérer comme une force qui nous engage pleinement ? Nous pourrions alors reconnaître cette vulnérabilité comme une force collective qui nous relie, nous habite et nous nourrit. …La vulnérabilité peut-elle être une forme d’engagement ? […] Ce n’est pas facile d’assumer la vulnérabilité dans une société aussi compétitive que la nôtre ! Comment travailler autrement ? J’apprends à laisser un autre type de performativité vivre. (C’est difficile car mon ego cherche parfois à prendre le dessus). …S’engager dans une culture (radicale) de la vulnérabilité. […] Actuellement, mon travail consiste à sortir des hiérarchies. Je m’engage dans des types de fonctionnement plus égalitaires qui cherchent à éprouver d’autres dynamiques sociales, d’autres types de relations humaines (et notamment non transactionnelles). […] Servir l’humanité plutôt que servir la hiérarchie. […] Le travail spirituel de l’art est souvent sacrifié pour fabriquer un « produit » qui doit plaire. Je choisis désormais de laisser les choses advenir dans un processus de guérison. […] La vulnérabilité est une pratique. …Le mot « professionnalisme » suppose qu’on laisse nos émotions de côté alors qu’en art, on travaille précisément à partir de nos sensibilités. La création est un espace à développer pour soi et pour les gens avec qui on travaille. Il s’agit d’une posture concrète, d’une pratique. C’est le travail de la transparence. […] J’ai besoin de partager mes doutes, de nommer mes craintes pour ouvrir le dialogue plutôt que de tout garder pour moi. Il s’agit d’un réel échange. Mais jusqu’où puis-je me permettre d’être transparent·e sans faire porter le poids de mes incertitudes sur les épaules de mes collaborateur·rices ? […] Être intègre constitue un risque ou un pari parce que nous sommes constamment engagés dans des relations interpersonnelles dont on ignore ce qui émergera. […] Mes lectures et réflexions issues des pratiques du « care » me permettent de redonner une place à la vulnérabilité dans le lien social. Il est possible de créer une culture de vulnérabilité où nous serions ouverts à l’inconfort. C’est un chemin. Et les questions offrent une superbe opportunité de nommer. (…)
Texte librement composé par Katya Montaignac à partir de la conversation « Assumer la vulnérabilité comme un engagement radical / Assuming vulnerability as a radical commitment » (#38, mercredi 9 mars 2022)
Depuis mai 2020, Chorégraphes anonymes est un espace de discussion co-animé par Frédérick Gravel et Katya Montaignac qui réunit des acteurs et actrices du milieu de la danse autour de questions liées à leurs pratiques. Ces notes, glanées et librement recomposées par Katya Montaignac, sont elliptiques et subjectives. Le « je » y incarne différentes voix, issus de témoignages individuels. Loin de représenter une parole collective, ces notes sont rassemblées sous la forme d’un journal intime fictif dans le but de partager quelques réflexions échangées dans le cadre de ces huis-clos.