Publié le 8 juin 2023

La vulnérabilité en danse

Quand je réfléchis à la vulnérabilité en danse, la première image qui me vient à l’esprit, c’est moi à 6 ans, en tutu et bas collants, qui sautille dans un cours de mouvement créatif d’un centre communautaire en me prenant pour une fleur. Je sais bien que les autres mamans (car c’étaient toujours les mamans qui nous amenaient aux cours de danse quand j’étais petite) me dévisageaient. L’une d’elles a même demandé à ma mère pourquoi je portais cette « drôle de jupe ». J’avais regardé Le lac des cygnes à l’âge de quatre ans et j’avais insisté pour m’habiller comme la ballerine pour le cours. Ainsi, alors que la plupart des enfants portaient des pantalons de sport et des t-shirts, je portais un costume de princesse fée et je donnais des coups de pied de travers. Avec le recul, je me rends compte qu’il s’agit d’une des premières fois où j’étais complètement vulnérable face au jugement des parents et des enfants, et pourtant, j’en étais inconsciente… tout ce dont je me souviens, c’est d’avoir ressenti une profonde conviction dans chacun de mes sauts et chacune de mes pirouettes bancales.

J’ai pris une pause de la danse pendant six ans, sans raison particulière, même si je me souviens avoir développé une passion soudaine pour les dinosaures, les étoiles, l’espace et la lecture. Je suis revenue au studio grâce à un ami de la famille qui m’a invitée à son cours de claquettes à l’occasion du « jour des visiteurs » (un stratagème à peine voilé pour recruter de nouveaux élèves). J’ai été immédiatement accrochée et je suis revenue la semaine suivante, inscrite non seulement aux claquettes, mais aussi au jazz et au ballet, et même éventuellement à la danse-bâton (?!). C’est à ce moment-là que la joie que j’éprouvais à danser s’est mêlée à des sentiments de compétition et d’infériorité. Tout d’un coup, j’étais constamment corrigée, d’abord par mes enseignants, puis par mon propre regard qui s’était approprié le leur. Le miroir est devenu un outil d’auto-évaluation des succès et, plus souvent, des échecs. Dans mon mémoire de maîtrise, je propose l’idée que le cours de danse peut devenir un panoptique, prison circulaire dans laquelle nous nous surveillons nous-mêmes et les autres, observant chaque faute, chaque erreur, chaque changement corporel…

Je ne me suis jamais sentie aussi vulnérable que dans les cours de danse. C’est pourquoi j’ai cessé de danser à 21 ans pour me consacrer à la chorégraphie. Aujourd’hui, lorsque des connaissances me demandent « comment se passe la danse », je réponds rapidement que « je ne suis pas danseuse… mais je fais de la danse ».

Quel est le lien entre tout cela et le présent ? Et au texte de mon collègue ? Tout d’abord, je trouve extraordinaires la vulnérabilité et la résilience que nous développons en travaillant dans le milieu de la danse. Qu’il s’agisse de monter sur scène, de créer en studio ou de rédiger la millième demande de subvention pour nous permettre de créer ce que nous voulons créer, nous nous mettons tous constamment en danger. En ce qui me concerne, je pense toujours aux mécanismes de défense que j’ai hérités de ma formation de base, ainsi qu’à ceux que j’ai développés à force d’œuvrer au sein d’un milieu professionnel aussi compétitif et précaire. De même, la vulnérabilité devient un point central pour moi lorsque je pense à l’économie, aux pratiques de travail et aux relations interpersonnelles dans le milieu de la danse. Je me demande s’il y aurait moyen de répartir équitablement l’expérience du risque, de sorte qu’aucune portion des artistes ne porte un fardeau d’exposition indu ou inutile. Je définirais cela comme la chorégraphie de la vulnérabilité ; la manière avec laquelle elle se déplace et se partage entre les créateurs, les producteurs, les administrateurs et les interprètes dans le milieu est moins une question créative qu’une question politique.

– Sasha Kleinplatz


* Traduction française par Marie-Ève Trahan

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